Distance et proximité dans les massages tantriques

La distance masseur-massée joue un rôle très important dans les massages tantriques et c'est une chose dont tous les masseurs (1) ont en général ont en général bien conscience.

Toutefois c'est un thème qui n'est que rarement abordé avec les massées (1). A travers cet article, je montre qu'il peut être intéressant et utile d'aborder la question de manière explicite.

La distance masseur-massée désigne bien entendu la distance que le masseur mettra entre son corps et celui de la massée. 

Il ne s'agit bien sûr pas ici de body-body (qui ne sont pas des massages à mes yeux) ou des jeux quelconques mais d'une possible proximité.

Pourquoi rechercher une proximité ?

Cela présente plusieurs avantages, qu'on va détailler un peu plus bas, tels que le feedback, l'ancrage ou l'amplification.

Cela peut présenter aussi deux inconvénients et une difficulté.

Le premier risque à essayer d'être proche est d'empiéter l'espace vitale d'une personne, de pénétrer dans sa zone de confort. Le masseur est alors perçu comme une menace. Même si cette personne arrive à se raisonner, ou même si on a pu la rassurer en dialoguant, elle est tout de même sortie du massage et c'est une perturbation grave et négative.

Le deuxième risque est l'inverse du premier: c'est que cette proximité génère des envies d'"aller plus loin" et là aussi fasse sortir le massé ou la massée de l'instant présent et de la conscience dirigée vers le ressenti actuel.

Les deux cas, même si ils semblent opposés, sont une forme d'échec du massage (qu'il soit tantrique ou de pleine conscience) puisque la massé a été perturbé par des sentiments parasites ou des craintes.

Il est donc normal, voir essentiel, d'aborder la proximité (ou la réduction des distances) avec une certaine prudence.

Quelle est donc la bonne distance ?

De nombreux témoignages montrent qu'une distance trop importante donne une impression de froideur, d'impassibilité ou de détachement qui peuvent être préjudiciables.

Il est donc important de chercher ce que peut être cette bonne distance entre masseur et massée.

Une difficulté supplémentaire est que la notion de bonne distance est extrêmement évolutive, en fonction des personnes bien sûr, d'une séance à l'autre (et c'est compréhensible) mais surtout au cours d'une même séance.

Toutefois, sauf signe évident que la proximité est bien acceptée, ma tendance est plutôt de garder une certaine distance lors d'une première séance et de ne proposer plus de proximité que lors d'un deuxième rendez-vous.

Il est donc primordial, sur cette question de distance d'être doublement prudent: éviter d'être trop intrusif tout en évitant d'être trop distant. 

Et c'est là où, à mon avis, il faut se baser sur les fondamentaux qu'offrent la méditation de pleine conscience. Si la proximité est dictée par des pulsions érotiques ou des sentiments amoureuse, vous êtes totalement hors sujet ; vous risquez très probablement de ne provoquer que rejet ou crainte, ou peut être désir ou attente, mais en tout cas, rien directement lié au massage.

Si au contraire la proximité est inspirée par des sentiments de partage, de compassion, d'échange, d'écoute, de respect, alors celle ci a toute les chances d'être bien reçue.

Bien sûr le ressenti et la prudence du masseur doivent aussi être pris en compte, mais cela se fait naturellement puisque le masseur reste en contrôle du massage.

Que peut apporter une proximité forte ou une distance assez courte ?

A nouveau, rappelons que nous sommes et restons dans le cadre d'un massage.

Une forte proximité présente trois types d'avantages très forts:

• Le feedback
• L'ancrage
• L'amplification

• Le feedback

(Malgré que ce soit un anglicisme, je trouve le terme beaucoup plus concis et expressif que "boucle de rétroaction" ou autre expressions similaire). Le concept de feedback correspond au fait pour un masseur de ressentir aussi profondément que possible les sensations de la massée.

Une première façon est d'avoir quelques points de contacts relativement fixes qui permettent de ressentir les sensations qui parcourent le corps de la massée et inversement, ce point de contact peut être inconsciemment utilisé pour transmettre des sensations.

La seconde manière est de proposer explicitement à ce que les mains puissent être posées sur le corps du masseur afin de transmettre les sensations ressenties, soit pas des pressions soit par des caresses. Il est important ici de préciser que ce toucher doit rester localisé et de nature instinctive (pas question de transformer cela dans une forme de massage réciproque) mais surtout faire en sorte que ce retour ("feedback") soit purement réactif et non pas intentionnel, calculé car cela signifierait que la personne est sortie du massage, n'est plus dans l'instant présent et que son esprit est en train d'imaginer une futur proche.

Cas typique de feedback très utile: lors d'un massage intime, le masseur est généralement assis entre les jambes de la massée et il allonge ses propres jambes le long du corps de la massée. Celle ci peut ainsi saisir les chevilles ou les mollets et interagir avec en fonction de son ressenti. En plus d'être utile cette position est assez sûre car le toucher réciproque reste physiquement restreint aux jambes

• L'ancrage

"Ancrage" est le nom que je donne à une technique importante dans les massages tantriques ou dans les massages de pleine conscience. Une grande partie des mouvements que j'effectue sont relativement appuyés ; c'est le cas surtout du dos ou des jambes mais cela est vrai pour pour tous les muscles de surface. De temps en ce massage appuyé peut être entre entrecoupé d'un toucher très léger sur des zones très sensibles (intérieur des articulations par exemple). Pour certaines personnes ce contraste peut être déroutant ; alors qu'elles étaient dans un cocon bien en sécurité, elles se retrouvent en train de flotter dans le vide pour donner une image . C'est pour cela que j'accompagne ces touchers très légers d'un contact beaucoup plus fort. 

Si une main prodigue ces caresses légères, alors l'autre main restera fermement présente dans un endroit "charnu". Et si les deux mains sont occupées dans ce toucher très sensoriel, alors j'essaie de matérialiser ma présence par un autre contact appuyé que ce soit un genou une cuisse une hanche... ce qui implique bien sûr une certaine proximité ...

D'où cette image: la caresse prodiguée est comme un ballon ultra léger qui resterait toutefois attaché à un point d'ancrage.

• L'amplification

L'amplification désigne le fait que, pour un mouvement donné, la proximité du corps du masseur puisse amplifier les sensations procurées par le massage. Cela s'explique assez facilement: quand les circonstances le permettent, une présence à la fois douce et enveloppante peut offrir un sentiment de sécurité qui facilite l'abandon du besoin de se protéger ; ainsi les mouvements seront accueillis beaucoup plus facilement, sans filtre mental et sans barrière.

L'exemple typique à mes yeux est le massage final du dos. Je termine souvent la phase "sur le ventre" pas de grands mouvements qui partent des jambes et qui remontent jusqu'aux épaules pour redescendre par les côtés. Si les circonstances le permettent, je m'allonge sur un côté et je laisse la main opposée effectuer les massages, tout en restant proche (quelque fois très proche) de la massée.

Ce phénomène d'amplification peut agir aussi pour les massages d'autres parties du corps, comme, les pieds, les jambes, les mains les bras...  Par la même proximité, vous pouvez mélanger l'amplification pour les mouvements profonds et l'ancrage pour les mouvements légers (aériens).

Comment déterminer la bonne distance ?

C'est bien sûr une question clé qui n'a pas de réponse évidente puisque cette notion de bonne distance dépend bien sûr de chaque personne mais peut aussi changer entre deux séances et surtout évoluer au cours de la séance.

Dans la plupart des cas, le masseur peut ajuster la distance en fonction de son instinct, de son expérience et cela fonctionne en général bien.

Il existe deux petits exercices assez simples et riches d'enseignements, qui peuvent être faits en début de séance, éventuellement pendant la discussion préalable avant de commencer le massage proprement dit et avant d'éventuellement se déshabiller. Toutefois, je pense que ce sont des exercices à proposer plutôt lors d'une deuxième rencontre quand une certaine confiance s'est installé.

• La chaise

Le premier s'appelle généralement la chaise: le masseur s'assoit les jambes écartés en s'appuyant éventuellement à un mur et la massée s'assit dos contre lui comme si il était le dossier d'une chaise. Dans cette position, le masseur a un rôle protecteur et rassurant et c'est une position généralement bien acceptée. Le masseur va ainsi ressentir comment la massée s'installe, si elle garde une certaine distance ou si elle s'abandonne en quelques sorte... Cette position permet facilement une discussion qui sera naturellement plus complice. A l'inverse, si cette proximité semble mal acceptée, le masseur le ressentira rapidement.

• Le lotus

Le deuxième exercice est possible est basé sur la position du Lotus (Yab Yum en anglais) ; pour mémoire, le masseur s'assoit en tailleur et la massée s'assoit sur ses jambes, face à lui et en croisant ses propres jambes dans le dos du masseur. Il s'agit d'une position très classique dans le monde du tantra.

Le lotus peut être pratiqué de différente façons:

- soit masseur et massée restent face à face avec une petite distance entre eux. La position est de fait relativement peu invasive et les mains se posent naturellement sur les épaules ou sur les hanches. L'inconvénient est que le masseur doit être vigilant et exercer un contrôle fort car les mains peuvent facilement se promener sur toute face avant du corps

- soit le massé et la massée sont très proches comme pour un câlin ; les corps se touchent et les têtes sont côte à côte. L'avantage est de permettre aux mains de parcourir facilement tout le dos sans toutefois pouvoir atteindre la face avant. L'inconvénient est bien sûr que ces contacts plus intimes peuvent gêner.

L'apport de la pleine conscience

Dans l'une comme dans l'autre de ces positions, un exercice naturel consiste à laisser la massée trouver elle même sa bonne distance.  Cette méthode n'est tout de même pas idéale, surtout en début de séance, car le résultat peut être influencé par l'éducation, la pudeur ou la timidité où à l'inverse, l'exubérance.

C'est pour cela qu'une approche de pleine conscience peut ici être riche d'enseignement. L'exercice consiste ainsi à se mettre en position de lotus, d'abord avec une certaine distance, puis en étant proches et de demander à chaque fois quelles sont les sensations. Il est important que l'attention se focalise sur les différentes parties du corps, et on va donc énumérer les zones de contact et interroger sur le ressenti. En arrivant à la tête, il est possible de mentionner d'éventuels sentiments de gêne (ou de plaisir) liés à cette proximité. Le masseur peut d'ailleurs donner l'exemple et illustrer la démarche en expliquant ses propres sensations (même si cela n'a globalement que peu d'importance).

L'important ici de transformer des relations avec le passé (la bienséance, les bonnes manières) ou avec le futur (que va-t-il se passer, de quoi ai-je envie, que va-t-il penser de moi ...) en une relation avec le présent (qu'est ce que je ressens ici et maintenant, qu'est ce qui est agréable ou désagréable) ?

Bien entendu comme il s'agit d'un exercice verbal il est important de le réaliser en début de séance ou en fin et non en cours.

En conclusion ?

Il n'y a bien sûr pas de conclusion sur ce que devrait être la distance idéale entre masseur et massée.

Par contre le point qui me semble important de retenir ici est le double rôle de la conscience.

Tout d'abord, pour le masseur, une prise de conscience classique du rôle et de l'importance de la proximité ou de la distance. Cela permet de passer d'un mode intuitif à une situation sur laquelle il va avoir plus de maîtrise, plus de choix.

De même, en proposant à la massée d'aborder en pleine conscience la question de la proximité, on va permettre à celle-ci de profiter pleinement du massage, sans crainte ou risque de surprise.

Notes:

1. Ce texte est valide tout autant pour des masseurs hommes et femmes et des massés hommes ou femmes. L'écriture inclusive devrait logiquement s'imposer et je devrais écrire le·a masseur·eusse et le·a massé·e. Toutefois je trouve cette écriture assez lourde à lire et à écrire.
   Comme mon expérience personnelle est celle d'un homme massant des femmes, je garderai la convention du masseur homme et de la massée femme.
   Je laisse le lecteur garder à l'esprit que la plupart de ces réflexions peuvent s'appliquer de manière assez similaires aux autres genres de masseurs ou de massés.